lundi 29 avril 2013

Le doigt pointé vers la lune



Beaucoup de gens supposent qu'ils doivent se transformer, devenir quelque chose d'autre, soit un saint ou un sage. N'est-ce pas une grande erreur et même une grande absurdité ? Celui qui pense ainsi n'est lui-même qu'un phénomène dans un rêve. Il n'est qu'un personnage dans une pièce de théâtre ou une manifestation assujettie au conditionnement appelé « le karma ». Cette manifestation ou ce personnage de rêve seront obligés de vivre leur rêve, de jouer leur rôle dans le drame et de subir leur « karma » jusqu'à la fin. L'ego qu'ils croient vouloir détruire, et qui semble les tourmenter et les maintenir dans une servitude imaginaire est une part inévitable et nécessaire de leur personnalité de rêve, de leur rôle, de leur « karma ». Ils ne pourraient pas « sembler » exister sans cet ego. Sa disparition serait la dé-phénoménalisation et elle sera le résultat d'un éveil hors du rêve. La disparition de l'ego n'est jamais un moyen pour arriver à l'Eveil. Le moyen « d'éveiller » hors du rêve réside simplement dans la compréhension de ce que nous sommes. Nous ne sommes pas l'apparence, le personnage de rêve, ni son rôle, ni la marionnette assujettie au « karma ».
Jamais nous ne pourrons nous éveiller hors du rêve en perfectionnant notre « moi » supposé. Nous réaliserons l'Eveil par la reconnaissance de notre « identité » véritable comme la source du rêve, du drame, de la manifestation phénoménale.
Note :
Un « Je » n’est qu’un concept qui s’arroge toutes les impulsions qui se présentent comme des « mois ». Celui qui pense du point de vue de l’entité qu’il se croit être, n’a pas encore commencé à comprendre de quoi il s’agit.
Ceci est d’autant plus évident, si nous essayons de travailler sur nous-même en ayant présente à l’esprit la notion d’entité. Elle n’est qu’un concept du mental et tout ce que nous faisons avec cette notion fausse, par cette notion fausse et pour cette notion fausse est vain.



Il n'y a ni « libre-volonté » ni « prédestination », car il n'existe aucun moi individuel pour voir l'une ou l'autre. Il n'y a qu'un objet dont chaque action est nécessairement prédéterminée, une marionnette somatique qui est « vécue » depuis l'intégration physique jusqu'à la désintégration physique. L'élément psychique de cet appareil psychosomatique est l'intermédiaire par lequel l'appareil total est « vécu ». Par lui les impératifs nécessaires sont traduits en actions, soit conscientes soit inconscientes, apparemment délibérées ou purement végétatives.
Ce n'est que sous la domination d'un concept d'égocentrisme que la psyché développe la volition, laquelle assume l'indépendance apparente d'action appelée « libre-volonté ». Chaque fois qu'elle diffère de l'action inévitable et correcte qui résulte des causes dans un contexte temporel, « passé » ou « futur », elle se débat désespérément pour réaliser un désir personnel en dépit de la loi de cause et effet. Mais jamais ce geste futile n'apporterait quoique ce soit qui ne fut pas dicté par la force inexorable de circonstances, ni éviterait quoique ce soit qui le fut.
C'est précisément en cela que consiste le conflit et le conflit est la souffrance, tandis que l'absence de cette pseudo-volition est la plénitude sereine de la vie éveillée ou nouménale.
L'illusion de la « libre-volonté » soutient l'illusion d'un « ego » ou d'un « soi », et réciproquement la notion de volition cherchant la réalisation d'un désir, crée la notion d'un « ego » ou d'un « soi », dont la « volonté » doit être exécutée. Par contre on doit conclure que la désagrégation, puis l'anéantissement de la notion de l'efficacité de la volition résultera inévitablement dans la désagrégation et l'anéantissement de la notion du « soi » ou de l' « ego » à laquelle il doit son existence illusoire. La désagrégation de la notion de volition se réalise par la reconnaissance qu'il ne peut être qu'une futile démonstration d'impuissance (sauf quand il coïncide avec l'action qui est en accord avec la force de circonstances).
Il n'y a ni libre-volonté ni prédestination, soit phénoménalement soit nouménalement, car dans aucun des deux aspects-d'être ne se trouve d'entité qui pourrait exercer l'une ou être assujettie à l'autre.




Wu Wei - le non agir

 

L'éveil consiste donc à amener ce processus à un arrêt brusque en cessant de regarder dans la mauvaise direction.
L'éveil n'est pas atteinte de quoi que ce soit : il n'est que l'élimination d'une barrière, celle du concept du je-sujet, qui le fait inévitablement apparaître comme éveil de moi-même - au lieu de ceci-qui-est lorsque je ne suis pas.
Il y a le « je » apparent, et le « non-Je » qui est l'absence même de moi - ce qui est (est appelé) Eveil, tout comme l'absence d' « éveil » est précisément la présence apparente de moi. Ils sont le côté pile et face d'une pièce - une dualité, non un dualisme.
Un Bodhisattva ne cherche pas à éveiller l'inexistence d' « autrui » : inexistant en tant que « soi », ce qu'il « est » détruit l'illusion de l' « existence d'autrui » en tant que tel.
Le Satori n'a pas d'existence objective
Rien de tel que l'éveil ou le satori n'existe en tant que fait objectif ou événement hors du temps. Rien d'autre ne se produit dans le mental que l'éclipse du je-notion qui entravait la vision. On ne peut donc ni les étudier ni les rechercher. Toute action semblable reviendrait à accomplir un acte chirurgical sur une image.
Rien ne se produit sur quoi que ce soit, rien n'est changé ; il n'y a nul événement psychosomatique ; le mental n'est pas affecté. Ce n'est que rétablissement d'une vision claire. Cela n'a pas d'existence objective : c'est une rectification purement subjective.
 
Wu Wei Wei

       

vendredi 26 avril 2013

La fleur et le papillon




                                                
                                                 

 
 
La fleur invite le papillon, sans pensées
Le papillon visite la fleur, sans pensées
La fleur s'ouvre, le papillon vient
Le papillon vient, la fleur s'ouvre.
 
Je ne connais pas les autres
Les autres ne me connaissent pas.
 
Ne sachant rien,
Nous comprenons le cours de la nature
 
Riokan, Maître Zen


Des Yogis et des hommes



            



Il y en a qui yamaniyamisent du matin au soir et il y en a qui se fichent des yama-niyama.

Il y en a qui occupent une heure de yoga avec trois postures et il y en a qui enchaînent soixante postures à la demi-heure.

Il y en a qui inspirent de bas en haut et il y en a qui inspirent de haut en bas.

Il y en a qui se dopent au kapâlabhâti et il y en a qui, au bout de cinq respirations, prennent un air de héros fatigué.

Il y en a qui méditent à l’aube, d’autres le soir, certains tournés vers l’est, certains tournés vers eux-mêmes, et d’autres qui ne méditent pas du tout, et d’autres qui croient méditer.

Il y en a qui s’ennuient en méditant et il y en a qui ne savent pas qu’ils s’ennuient en méditant.

Il y en a qui beuglent des mantras, d’autres qui bricolent dans le tantra, d’autres qui dessinent des yantras, et d’autres qui confondent mantras, tantra et yantras.

Il y en a qui savent le sanskrit, d’autres qui font croire qu’ils savent le sanskrit et d’autres qui s’imaginent qu’en Inde tout le monde parle sanskrit.

Il y en a qui sont allés en Inde, je veux dire dans un ashram en Inde, et d’autres qui ont peur d’aller en Inde, des fois que l’Inde ne ressemble pas à l’Inde.

Il y a des gouroulogues, des gourouphones, des gourouphiles, des gouroulâtres, des gouroulacariâtres, des gouroumaniaques, des gourouphobes, des gouroupathes, des gouroucides, des gourouphages, et il y aurait même encore quelques gourous.

Il y en a qui ont lu les Yoga-sûtra et qui regardent de haut ceux qui n’ont pas lu les Yoga-sûtra. Il y en a qui font semblant d’avoir lu les Yoga-sûtra, d’autres qui en ont lu un résumé. Et il y en a qui les confondent avec les Kâma-sûtra.

Il y en a qui sont pour les écoles — écoles du nord, écoles du Sud, écoles du Nord-ouest, du Sud-sud-ouest, Cachemire du XIIe siècle, Bihar du XIVe, tantrisme sikh, jaïnisme de la Main gauche… — et d’autres qui sont contre les écoles (à bas les systèmes, vive la spontanéité !) et d’autres qui disent que toutes les écoles se valent, tout est dans tout n’est-ce pas, et ceux qui changent d’école tous les deux ans et ceux qui ne supportent pas qu’on change d’école.

Il y en a qui ont six chakras, dont trois ouverts, et d’autres sept, quatorze ou soixante-quatre, et tous ouverts, ou bien alternativement, et puis qui peuvent ouvrir les chakras fermés des autres, ou bien fermer leurs chakras ouverts, attention pas de fausse manœuvre. Et puis il y a les malheureux qui n’ont jamais senti en eux le moindre chakra et n’osent pas l’avouer, sauf quand ils font un rebirth.

Il y a ceux qui combinent yoga et rebirth, yoga et psychanalyse, yoga et karaté, yoga et poterie, yoga et chasse à courre.

Il y a ceux qui ne cuisinent qu’au ghee, qui mastiquent cent huit fois leurs graines hypercomplètes ou bien qui les avalent le plus vite possible, bon débarras, il y en a qui jeûnent et qui le font savoir, qui se purifient et vous le font sentir, qui craignent plus que tout de se réincarner en cochons. Et puis ceux qui mangent des côtes de bœuf en cachette et s’envoient un coup de rouge en se demandant avec une angoisse délicieuse si cela alourdira leur karma.

C’est que oui-da il y a des obsédés du karma comme il y a des fanas du mûla-bandha, des fondus de l’uddiyâna, des frappés de jâlandhara, des forcenés de la bhastrikâ, de vieux babas enragés de mudrâs, flottant dans le samsâra et dans l’odeur du gañja.

Comme il y a des yoginîs fumeuses de bidis, frétilleuses de la kundalinî, expertes en nauli, friandes de samâdhi, goûteuses d’amaroli, virtuoses en sahajolî, qui se font appeler Shakti lorsqu’elles s’unissent à leur Shiva, le samedi soir après le yoga, pour faire maithuna, yab-yum et youp-la-la.

(Mais il y en a tant d’autres qui voudraient bien savoir à la fin ce que c’est que maithuna, et cela les énerve.)

Oui, et ainsi va le samsarâ, et vive Mâyâ qui n’existe pas, si l’on en croit Gaudapâda, il y a des hommes qui se prennent pour des yogis, il y a des femmes qui se prennent pour des yoginîs, il y a des souris et des hommes, des souris et des yogis, et puis,

Shiva-Pârvatî soient loués, il y a des hommes et des femmes qui ne se prennent pour rien, et que le yoga prend dans ses bras et porte doucement, tendrement, et emporte, vers là-bas, qui déjà est ici, et c’est si beau alors et c’est si simple, le yoga." Pierre Feuga



 

mercredi 24 avril 2013

La grande Voie





                                           
                                           
                                                   
La grande Voie n'est pas difficile,
il suffit d'éviter de choisir.
Si vous êtes libre de la haine et de l'amour,
elle apparaît en toute clarté.

S'en éloigne-t-on de l'épaisseur d'un cheveu,
un gouffre sépare alors le ciel et la terre.
Si vous voulez la trouver,
Ne tentez pas de suivre ni de résister.

La lutte entre le pour et le contre,
voilà la maladie du cœur !
Ne discernant pas le sens profond des choses,
vous vous épuisez en vain à pacifier votre esprit.

Perfection du vaste espace,
il ne manque rien à la Voie, il n'y a rien de superflu.
En recherchant ou en repoussant les choses,
nous ne sommes pas en résonance avec la Voie.

Ne pourchassez pas le monde soumis à la causalité,
ne vous perdez pas non plus dans un vide de phénomènes !
Si l'esprit demeure dans la paix de l'Unique,
cette dualité disparaît d'elle-même.

 À la moindre trace de bien ou de mal,
l'esprit s'embrouille dans les complexités.
En cessant d'agir pour trouver la tranquillité,
celle-ci ne sera qu'un surcroît d'agitation.
Recherchant le mouvement ou le repos,
comment pourrions-nous connaître l'Unique ?

Quand on ne comprend pas la non-dualité de la Voie,
le mouvement et le repos sont faux.
Si vous repoussez le phénomène, il vous engloutit ;
si vous poursuivez le vide, vous lui tournez le dos.

À force de paroles et de spéculations,
nous nous éloignons de la Voie.
Coupant court aux discours et aux réflexions,
il n'est point de lieu où nous ne puissions pénétrer.

Revenir à la racine, c'est retrouver le sens ;
courir après les apparences, c'est s'éloigner de la Source.
Dans l'instant, en retournant notre regard,
nous dépasserons le vide des choses du monde.

Si le monde paraît changer,
c'est à cause de nos vues fausses.
Inutile de rechercher la vérité,
abandonnez seulement les vues fausses.

Ne vous attachez pas aux vues duelles,
veillez à ne pas les
La dualité n'existe que par rapport à l'Unité ;
ne vous attachez pas à l'Unité.
Pour un esprit qui ne fabrique pas,
les dix mille choses sont inoffensives.

Sin Sin Ming

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Poème Zen


 
Le printemps s’en va, cent fleurs se fanent.
Le printemps revient, cent fleurs s’épanouissent.
Devant nos yeux, la roue du temps tourne sans cesse,
Et déjà les cheveux sur nos tempes blanchissent.
Mais ne croyez pas qu’avec le départ du printemps,
Toutes les fleurs sont tombées.
Hier soir encore, devant mon jardin,
J’ai trouvé une branche de pêcher en fleurs.


Man Giac
(Maître zen)
       

mardi 16 avril 2013

L'acceptation . Sando Kaisen
C’est une pratique qui demande beaucoup de lucidité et de présence car elle prend notre égo à rebrousse poil, en lui apprenant à accepter l’inacceptable et à donner ce qu’il refuse de donner.
Elle nous demande d’accepter d’être exposé à l’irritation et à l’indésirable, d’accepter ce à quoi nous dirions habituellement «non».
Mais il s’agit aussi d’accepter intérieurement les côtés obscurs de nous-même que nous n’avons pas envie de reconnaître. Nous devrions accueillir le côté pénible de la situation plutôt que de le refuser et de lutter contre lui. Si, face à une situation pénible, on commence à accepter, sans réagir à priori impulsivement, on introduit une pause dans la situation. Elle est un espace qui permet de mieux la sentir. C’est à partir de cette perception qu’il devient possible d’y répondre plus justement.
En acceptant, on se laisse ainsi pénétrer par la situation à priori inacceptable ou non désirée.
L’inacceptable pénètre jusqu’au plus profond de nous-même. C’est une acceptation sans réserve. Il n’y a pas de «oui, mais...». On est complètement exposé, transparent, et l’on abandonne la lutte et le rejet.
Ensuite, s’accepter soi-même signifie reconnaître sa vraie nature comme étant un «chapelet de mirages» dépourvu de réalité intrinsèque. De se glisser à l’arrière-plan de son être et de regarder cet inacceptable comme n’étant qu’un phénomène dont je ne suis pas l’auteur.
Comme tout phénomène, cet inacceptable a sa propre existence mais je ne suis pas cela.
Percevant cela, l’inacceptable se dissout de lui-même pour ouvrir le champ de la compassion infinie.
Accepter ne signifie pas «subir», mais accepter l’apparition de ce genre de phénomène comme étant une manifestation de la nature même des choses.
Les choses sont ce qu’elles sont mais je ne suis pas ces choses. Se tenant à l’arrière-plan, je peux alors, avec compassion, regarder ces souffrances et ne pas les entretenir, ne pas les nourrir.
Seule l’acceptation totale pourvue de l’Oeil de l’Éveillé met fin au pouvoir du «subir», de «l’endurement» et de la «douleur».

Sando Kaisen