C’est très difficile, très subtil, de trouver la juste posture.
Car il y a à la fois une partie de la posture qui est tenue consciemment et une partie qui est tenue inconsciemment.
Il est important de ne pas complètement s’oublier au point de perdre conscience, ni de vouloir contrôler la posture tout entière.
Aussi, les genoux poussent vraiment le sol, ça c’est le point conscient.
Les cuisses, les fesses, sont relâchées totalement, et à la base de la colonne vertébrale, il y a un point d’appui conscient.
Ensuite, toute la partie dorsale est totalement relâchée, y compris les épaules, y compris la nuque.
En réalité, c’est une erreur de dire : « Tendez la nuque » car la nuque doit être relâchée totalement.
Par contre, c’est comme si le ciel tirait par une ficelle le sommet du crâne vers le haut, délicatement.
En fait, ce n’est pas nous-mêmes qui poussons, c’est comme si cela était tiré.
Donc, ce doit être très délicat.
Quant au rentré de menton, il doit être très délicat aussi, c’est juste un léger rentré.
On ne doit avoir aucune tension dans la nuque, ni dans la gorge, ni dans les épaules.
Ensuite, le plus délicat, ce sont les mains, parce que les mains sont le baromètre de tout ce qui précède.
Quand tout ce que je viens de dire est bien mis en application, à ce moment-là, la main gauche, qui se trouve sur la main droite, pousse légèrement vers le bas et la main gauche pousse légèrement la main droite.
La main droite se soulève vers le haut, vers la main gauche, tout cela est très délicat, et enfin les pouces se joignent à l’horizontal, dans une légère poussée l’un vers l’autre.
Les paumes de la main, l’une comme l’autre, sont totalement relâchées.
Les mains ne doivent pas être tendues, raides.
Enfin, les tranchants internes des mains sont bien en contact avec le bas-ventre, mais en contact juste au point où, lorsqu’on expire, lorsqu’il y a une expansion du bas-ventre, c’est le bas-ventre qui vient se coller après les mains, et non pas les mains qui se collent après le bas-ventre.
Ainsi, la posture est réalisée à la fois naturellement par le monde invisible et aussi par le fait d’être l’incarnation du monde invisible, par la volonté, par une légère volonté, par une conscience présente en unité parfaite.
Le regard doit être légèrement pénétrant, comme si on pénétrait le sol, mais pas avec violence, pas avec une trop grande intensité.
En vérité, le moteur de tout ce que je viens de dire, c’est comme s’il y avait une énergie lumière qui faisait tous ces efforts, qui poussait.
Ce n’est pas une énergie corporelle, pas une énergie matière, plutôt une énergie lumière, c’est très délicat.
Et plus on va se concentrer sur cette délicatesse, plus on va pénétrer dans le tréfonds de l’Origine sans origine, de la Grande Présence.
Cela ne peut pas être possible seulement par la matière.
En fait, il faut que l’esprit, la conscience, pénètre la matière, s’installe dans la matière, jusqu’à ce que la matière devienne esprit, sensible, connaissante, délicate, perceptible.
Quant au souffle, bien sûr il s’inspire naturellement de lui-même, on ne fait aucun effort, voire même, on ne s’en occupe pas.
L’inspiration naît d’elle-même, tout simplement parce que l’expiration vient de disparaître, de se dissoudre.
La conscience s’arrête un instant, comme à l’instant de la mort, puis le souffle nous pénètre de l’extérieur, naturellement.
L’expiration doit être contrôlée, mais… pas contrôlée.
Si la posture est parfaitement alignée comme je viens de l’expliquer : le bassin bien basculé, pas d’effort sur la colonne dorsale, la colonne totalement libérée du corps, alors le souffle, l’expiration, devrait naturellement se diriger vers le bas, sous l’œil conscient de l’esprit mais sans volonté particulière.
C'est-à-dire que, si une expiration sur trois ou quatre n’a pas la longueur qu’on aurait souhaité, ça n’a aucune importance.
Si l’expiration s’arrête aux trois-quarts du chemin, elle meurt aux trois-quarts de chemin et ainsi de suite.
Il n’y a pas de souffle court ou long, rien n’a été préétabli.
Donc, il ne faut pas forcer.
On ne doit pas forcer car notre corps est impermanent.
Certains jours, on respire profond, d’autres jours moins profond, ceci est naturel.
Et ce n’est pas parce qu’on obligera le corps à expirer toujours profond qu’il va atteindre un état particulier de profondeur.
Le souffle, c’est quelque chose qui ne nous appartient pas consciemment.
Ainsi, les femmes ne peuvent pas expirer profondément jusqu’en bas comme les hommes à cause des organes internes, sexuels.
Donc elles respirent naturellement, mais les hommes respirent naturellement aussi.
Ensuite, lorsque la nuque est bien détendue – j’insiste encore sur la nuque : ne tendez pas la nuque, c’est vraiment une mauvaise traduction, une mauvaise explication, une mauvaise interprétation de ce que disait Sensei quand il disait « tendez la nuque », il ne savait pas comment le dire autrement – lorsque cette nuque est totalement détendue et que l’on est tiré par le haut, par le sommet du crâne, en fait, la mâchoire de détend.
C’est très important que la mâchoire se détende, ce qui permet aux dents de la mâchoire inférieure de se coller contre les dents de la mâchoire supérieure, naturellement, sans qu’il y ait une tension dans la bouche.
Enfin, pour que les dents inférieures touchent les dents supérieures et qu’elles puissent s’y maintenir, on colle la pointe de la langue légèrement recourbée, le plat de la langue, contre le palais supérieur.
Mais tout cela se fait délicatement, sans effort.
C’est presque l’action de l’esprit plus que l’action de la matière.
Au début, c’est de la matière, mais petit à petit, en s’affinant, même le souffle n’est plus le souffle.
C’est juste une verticalité, une énergie qui est avant le souffle.
Ce qu’il y a de merveilleux dans la posture, c’est qu’on peut pratiquer toute une vie et affiner, affiner, affiner…
Et plus on affine, plus nos pensées s’affinent, plus nos gestes s’affinent.
Plus la matière revient à son origine première, à l’esprit, plus la matière devient souple, plus les pensées deviennent souples.
Alors, ensuite, l’état d’esprit.
Il y a beaucoup d’incompréhension sur l’état d’esprit.
Souvent, il est dit ou écrit que l’on doit disparaître, corps et esprit : « personne sur le zafu, rien sur le zafu », qu’il faut totalement se fondre, « corps et esprit abandonné »…
Il y a des termes comme cela…
Parfois, certains écrivent qu’il faut être tellement dans le samadhi que plus rien d’autre n’existe…
En réalité, ce n’est pas du tout cela.
Lorsqu’on est appliqué à affiner cette posture dont je parlais à l’instant, lorsqu’à la fois l’esprit et la conscience sont conscients de certains points de la posture, alors que d’autres points se réalisent naturellement, lorsque l’homme et le Bouddha ensemble s’unifient et agissent, lorsque le monde visible et invisible agissent en même temps, en unité parfaite, en fait on est à la fois conscient des bruits extérieurs et conscient des points sur lesquels l’esprit s’appuie mais en même temps ne s’attache pas.
Parfois c’est la colonne, parfois c’est les mains, parfois…
En fait, l’esprit voyage, ne s’arrête nulle part mais il parcourt le corps de sa Grande Présence sans oublier le monde extérieur.
Pourquoi ?
Parce qu’en réalité il n’y a ni monde intérieur ni monde extérieur.
Ce que l’on croit être à l’intérieur de nous n’est rien d’autre que la Grande Conscience extérieure, ce qui veut dire que nous-mêmes ne sommes rien d’autre que la conscience extérieure.
Parfois, Sensei disait : « Ce n’est pas sûr que le satori vienne de l’intérieur, il peut aussi venir de l’extérieur »
Il vient sûrement de l’extérieur…
Donc, cet équilibre n’est pas facile à trouver : être conscient à la fois de ce qui se passe à l’intérieur et, en même temps, ne pas s’auto hypnotiser à l’intérieur : le son des clochettes, du vent, tout cela fait partie de la présence, tout cela se joue au cœur d’une même présence.
Lorsqu’on réalise vraiment cela, alors on découvre que ceci n’a ni naissance ni mort.
Encore une fois, parfois Sensei disait : « Ne vous inquiétez pas, même mort, rien ne change, la conscience continue ».
C’est pareil que dans le zazen, la Présence est toujours présente, tout cela ne s’éteint pas.
Donc on peut être certifié en réalisant cela, en l’actualisant, finement.
Et enfin, ne pas oublier les bases de notre zazen.
Bien comprendre que chaque chose, chaque geste a son importance.
Après le coup de cloche, vraiment enfermer les pouces dans les mains, les poser sur les genoux et faire le balancement, du plus petit au plus grand.
De même avant le zazen, du plus grand au plus petit.
Avant le zazen, après le zazen, se relever lentement, d’abord une jambe, puis la deuxième.
Il faut toujours continuer à être conscient : conscient de la jambe qui se détend, conscient de la deuxième.
Puis ce geste ressort qui fait que l’on se lève, bien consciemment, que l’on se retourne, qu’on prend le zafu, qu’on le tasse délicatement en le tournant par trois fois pour qu’il soit tassé bien rond…
Tout cela fait partie de la posture de zazen.
Bien aligner son zafu, se diriger vers l’autel, faire gassho, ressortir du pied droit…
Même si, après, on se disperse un peu, ça n’a aucune importance.
Si on accompagne cela jusqu’à la porte, à chaque zazen, de plus en plus, cela vous accompagnera dans la vie quotidienne.
Ces cinq mètres de parcours deviendront un jour un parcours infini.